Vous souvenez-vous "Des papous dans la tête", "Les Décraqués" cette aventure radiophonique où le goût des mots était au rendez-vous. On pouvait durant de nombreuses années sur France Culture rire, sourire, s’amuser des subtils jeux d’esprit. Eh bien dans l’une de ces émissions, l’un a décrit un tableau, l’autre l’a interprété. Voici deux exemples sans l’interprétation. La règle du jeu est celle de les imaginer et de les peindre. Même si vous les identifiez, jouez le jeu, ne cherchez pas leur image car le but est de faire avec ce que vous inspire ces quelques phrases... ou votre mémoire.
Description objective de Ricardo Mosner : 1er tableau
"Au centre du tableau, une femme nue d’environ vingt-deux ans pose dans une grande coquille avec pudeur et poésie. Ses cheveux très longs et orangés sont traités par le peintre avec une grande virtuosité. Elle cache son sein droit de sa main gauche, et de sa main gauche tient le bout de sa chevelure, qui masque son pubis. Du côté gauche de la toile, un couple entrelacé souffle vers la donzelle, au milieu d’une pluie de fleurs blanches et roses. L’homme est drapé de bleu et porte des ailes. Il plane. De l’autre côté, une femme habillée d’une robe blanchâtre à fleurs présente à la demoiselle dans sa coquille un manteau rougeâtre, à fleurs aussi, pour offrir un vêtement à sa nudité. Sur le côté, un paysage paradisiaque de forêts avec quelques arbres tropicaux. Au fond et au premier plan, le paysage est aquatique. Quant au ciel, il est clair, avec quelques nuages".
Description objective de Serge Joncour : autre tableau
"Ce tableau se trouve au musée d’Art moderne de San-Francisco. Il mesure 289.6 centimètres de haut, ou de large, cela dépend dans quel sens on le regarde, et 266,7 centimètres sur les faces perpendiculaires à celles citées précédemment. Il s’agit d’un tableau non figuratif. Souvent le titre est la clé d’une œuvre dans la mesure où il résume ; le titre est donc : numéro 14. À partir de là, le mystère de cette œuvre, qui tient à son absolue triangularité, s’éclaircit. 14 est indéniablement un chiffre pair, donc divisible par deux, comme l’est cette toile, elle-même divisée en deux par une ligne, une ligne abstraite certes, à peine esquissée par le maître, mais efficace cependant, car quelle que soit la totale volatilité de cette démarcation, deux parfaits rectangles s’en dégagent. Penchons-nous d’abord sur le rectangle du bas, puisqu’ultérieurement nous nous hissons vers celui du haut. Le rectangle du bas est plus petit. Il occupe à peu près le tiers inférieur de la toile, il est d’un violet plus ou moins soutenu, qui tire par moments vers le noir. La couleur semble s’abîmer en aspirant notre regard. Le rectangle du haut est quant à lui rouge, rouge comme un ciel incandescent où le soleil se répandrait tel un jaune d’œuf dans une écuelle".
Bien entendu, vous pouvez prendre un autre tableau, mais il faut être deux. L’un décrit, l’autre peint. C’est un exercice d’observation qui aiguise le regard, oblige à trouver les mots les plus justes et stimule l’imaginaire. Le jeu en vaut la chandelle car le résultat est souvent grandiose.
Lundi prochain, je vous donnerai le nom de ces peintres et le titre de ces tableaux si, d’ici là, vous n’avez pas succombé au charme de Pandore.
Référence : Des papous dans la tête, les décraqués. Le goût des mots, éditions Points Gallimard, 2004.